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Interview de Denis Roth-Fichet, directeur régional aux droits des femmes Grand Est

Mise à jour : 09 juillet 2019

Denis Roth-Fichet a été nommé le 1er juin 2019 aux fonctions de directeur régional aux droits des femmes et à l’égalité femmes-hommes. Il succède ainsi à Nouria Yahi-Boggio.

À l’origine, vous avez une formation juridique ?

Permettez-moi au préalable de saluer le travail accompli par Nouria Yahi-Boggio qui m’a précédé sur ce poste, ainsi que celui actuellement réalisé par les dix déléguées départementales et tout le personnel de notre réseau régional et départemental.

Pour répondre à votre question, je suis, en effet, juriste de formation avec une spécialisation en droit du travail. J’ai développé ensuite peu à peu une expertise en droit de la non-discrimination et, notamment, des discriminations à l’encontre des femmes.

Ce n’est pas votre première expérience en matière de lutte pour l’égalité femme homme ?

Non, j’ai plus de dix ans d’expérience dans le domaine des droits des femmes et de l’égalité. Mais, même si j’ai toujours été féministe par culture familiale et convictions personnelles, je pense avoir pris véritablement conscience de ma « vocation » auprès de Dominique Baudis, lorsqu’il était Défenseur des droits. En tant qu’administrateur civil, j’ai fait ma mobilité fonctionnelle à ses côtés comme conseiller, à un moment très important pour les droits des femmes : celui des travaux préparatoires de 2012 pour la nouvelle loi sur le harcèlement sexuel, alors que le délit pénal de harcèlement sexuel venait d’être abrogé par le Conseil constitutionnel et que toutes les affaires en cours perdaient une partie de leur fondement juridique.

Vous avez travaillé au niveau national, mais également européen ?

Oui, après une première partie de carrière en tant qu’officier au ministère de la Défense et ma formation à l’ENAÉcole nationale d'administration, j’ai intégré le ministère de l’Économie et des Finances.

Après mon affectation auprès du Défenseur des droits, j’ai rejoint le Conseil de l’Europe. J’y ai principalement collaboré avec deux commissions : l’ECRI, qui est la commission de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’intolérance, et le GREVIO, qui est le groupe d’experts chargé de veiller à la bonne application de la convention d’Istanbul sur la lutte contre les violences à l’égard des femmes et les violences domestiques. J’ai également beaucoup travaillé avec nos partenaires de l’Union européenne et, notamment, la direction générale Justice de la Commission européenne.

Êtes-vous féministe ?

Oui, je suis féministe, mais je n’ai pas vocation à être le directeur régional des féministes. J’ai pour mission de conduire et de mettre en œuvre des politiques publiques pour toutes les femmes et pour tous les hommes en dehors de tout clivage ou idéologie. Comme Marlène Schiappa, je pense qu’être féministe, c’est être radicalement pour l’égalité. En tant que juriste, le principe d’égalité des droits me touche particulièrement. Nous devons aujourd’hui nous battre pour l’égalité réelle et veiller à ce que les droits des femmes ne reculent pas. Il ne s’agit pas d’un combat contre les hommes, comme voudraient nous en convaincre certains masculinistes, mais d’un combat de société dans lequel les hommes ont tout autant à y gagner.

Quels sont les grands dossiers qui vous attendent dans votre fonction ?

J’ai beaucoup traité des questions de violences sexistes et sexuelles dans mes précédents postes. Je pense que c’est un domaine sur lequel nous devons continuer à travailler ardemment, car les violences sexistes et sexuelles sont au cœur des processus de domination et l’on ne peut véritablement aller vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes que si nous mettons tout en œuvre pour les combattre. Nous sommes aujourd’hui [jeudi 13 juin] à plus de 60 féminicides depuis le début de l’année, soit une femme tuée tous les 2 jours et demi. Cela n’est pas acceptable ! L’une de mes priorités, sous l’autorité du préfet de la région Grand Est, sera donc de lutter contre ces violences avec pour principe zéro tolérance. Je le ferai en informant davantage les victimes et les victimes potentielles, mais également l’ensemble de la population dès le plus jeune âge, en m’assurant de la mise en place de mesures de prévention et de protection. À titre d’exemple, l’ordonnance de protection dont peuvent bénéficier certaines femmes victimes de violences reste trop peu connue, de même que les téléphones grave danger, les TGD. Je veillerai aussi à ce que les femmes soient mieux accompagnées et conseillées pour porter plainte contre leurs agresseurs, afin qu’ils soient poursuivis en justice.

L’un des projets en cours à la direction concerne l’entrepreunariat féminin ?

Nos sujets sont nombreux à la direction régionale au droit des femmes et à l’égalité, mais l’entrepreunariat féminin et la mixité des métiers est, en effet l’une de mes priorités. Je viens de rendre un rapport à Marlène Schiappa sur la féminisation des instances de gouvernance et de direction dans les entreprises et j’ai vraiment à cœur de lutter contre les plafonds de verre et autres planchers collants qui bloquent les femmes dans leur développement professionnel.

En effet, si d’année en année la situation s’améliore, des pans entiers de notre économie restent encore fermés à la mixité. Certains métiers sont très masculins et, à l’inverse, certains métiers sont principalement féminins. Il faut donc trouver de nouveaux équilibres pour briser les parois et faire bouger les lignes. C’est non seulement une question d’égalité, mais également un enjeu économique pour notre pays, car la mixité (c’est aujourd’hui démontré) est gage de performance économique !

Vous n’êtes pas nouveau à Strasbourg puisque vous avez travaillé pour le Conseil de l’Europe ?

Je connais en effet très bien Strasbourg puisque j’y ai exercé des fonctions. Mais j’y ai surtout passé toute mon enfance et fait une grande partie de mes études: le lycée des Pontonniers et mes premières années à la faculté de droit de l’université Robert Schuman. Je suis très content d’avoir en charge le Grand Est, car c’est une région que j’aime et j’entends bien poursuivre et développer le réseau institutionnel et associatif qu’a su tisser ma prédécesseure. Tout le territoire est concerné par les questions d’égalité.

En parallèle de vos fonctions successives, vous êtes également enseignant ?

Je suis professeur associé à l’université Paris-Dauphine et chargé de cours à l’Institut d’études politiques de Strasbourg, et ce depuis de nombreuses années. J’enseigne le droit du travail et le droit européen. J’ai également enseigné les droits de l’Homme et je fais régulièrement des conférences et anime des tables rondes sur le droit des femmes, les violences sexistes et sexuelles ou encore les discriminations. Je compte garder cette casquette, car c’est pour moi un ballon d’oxygène et un très bon stimulant : les étudiantes et étudiants ont ce mérite de ne pas vous laisser vous reposer sur vos lauriers et l’enseignement me permet de renforcer ma pédagogie, ce qui est particulièrement utile dans mon métier.